dimanche 20 mai 2012


Le souffle de Spartacus ou la voix d’un artiste


Avant-propos

Spartacus, dans la Rome Antique, a voulu briser son esclavage en fomentant une révolte contre ses maîtres.
Les maîtres modernes, qui briment notre liberté, épousent la théorie du capital, adorent l’argent, tiennent la bride de la pensée religieuse et de la doctrine philosophique.
Contre ces formes d’aliénation et d’asservissement, le poète, un artiste animé par le souffle de Spartacus, s’insurge. Il mène son combat avec l’arme singulière de l’amour qu’il porte à Roxanne, sa bien-aimée, et par la pratique de son art.
Ce poète a bien voulu que je lui prête des éléments de ma vie personnelle que j’ai agrémentés de fiction pour lui permettre de fourbir ses armes et pour mettre en valeur sa nature propre.
La lutte qu’il mène se déroule en trois épisodes; le premier fait ressortir sa dépendance affective; le second lui permet de vaincre ses peurs et d’affirmer sa spécificité en tant qu’artiste; le dernier lui fait retrouver l’essentiel : comme tout homme, l’artiste se fond dans le Grand Tout et sa mort est sa véritable récompense.
Ce recueil s’adresse au plus grand nombre. C’est à mon sens une erreur de vouloir réserver la poésie à une caste de privilégiés qui seuls peuvent se permettre d’en décoder les symboles.
Jacques Prévert, ce vrai révolutionnaire de la poésie moderne, aussi important que Pablo Picasso dans le domaine pictural, avait compris que la simplicité, le naturel et le vrai façonnent les oeuvres poétiques durables.
Trop souvent, hélas, ceux qui s’adonnent à la pratique de cet art en connaissent les techniques savantes alors qu’il leur manque l’essentiel : la sincérité, le coeur, et surtout le talent artistique.


Première partie : Roxanne, un amour de chair et de cendres


Le présent
Roxanne, le grand amour de ma vie, est décédée.

Par les fenêtres de tes yeux, Roxanne
J’ai vu ton âme partir
En filigrane vers je ne sais où

J’ai eu peur de mourir
Sans pouvoir tresser ton sourire
Une dernière fois

J’ai pleuré notre amour de glaise
Enfoui au cimetière
Sous l’humus de ma mère

Tu m’as fait éclater de rire
En imitant des mots d’enfant
Gonflés de monstres et de géants

Dans les reflets de ta chevelure noir de jais
La pâleur de nos serments m’étonna

Et comme la Rose des vents
Je girouette en songeant
Qu’il ne me reste que le présent


Première rencontre
Tu étais tellement belle Roxanne que j’ai été ébloui par toi.

Mes yeux vacillant dans leur prunelle
Devant l’éblouissement de toi si belle
Se ferment complètement
Comme menottes d’enfant

Je vois glisser paresseusement
Un fier voilier blanc
Sur une mer narquoise

J’écris ton nom sur de l’ardoise
Compte les nuages de mousseline
De ta robe qui me fascine
Et te couvre de mille baisers

Jamais la vie n’aura été plus belle
Qu’en cet instant
Qui célèbre notre premier amour
Et tes dix-sept ans


Photo de mariage
Je te revois avec ta superbe robe de mariée dans une église remplie d’encens.

Dans ta superbe robe de mariée
Tissée dans le givre de janvier
Tu t’avançais dans la nef
Plus vraie qu’une princesse

Devant les vitraux de la cathédrale
Des volutes d’encens
S’étourdissaient en dansant

Quand vint le temps
De se dire amour
Tes mots coulèrent en perles d’eau

Vive les mariés!

Ce moment a-t-il existé
Ou l’ai-je inventé
Dans ma vieillesse dorée?


Geneviève
Les premiers pas de Geneviève, notre fille, m’ont ému. Mais, à son
adolescence, je ne savais plus comment la diriger.

Les bulles d’or de son babillage
Flottaient au-dessus de son berceau
Comme des esquifs graciles
Sur une mer indocile

Ses premiers pas, son premier combat,
Mirent du soleil dans mes yeux

Mais quand vint le temps
De déchirer la robe blanche
Des poupées de son enfance
Comme le jongleur
Qui craint l’erreur
J’ai patiné
Sur les grands lacs glacés
À l’intérieur de moi-même


La chute
J’ai commencé à éprouver des problèmes de panique.
Je suis allé faire soigner mon âme.

Comme des vagues gratte-ciels
Brisent les esquifs téméraires
Des pensées de mort prochaine
M’aspirèrent dans l’entonnoir
De l’épouvante infinie

Mon corps perdu criant au capitaine
Courut aux soins d’urgence
Où tel médecin apaisa mon enfer
Avec des solutés calmants

Il diagnostiqua une brûlure de l’âme
Nécessitant mille points de repos


Au refuge
J’ai connu l’hôpital où l’on soigne avec des médicaments au lieu de paroles apaisantes.

Des murs tachés de blanc
La sentence sèche du repos
Des pilules à la place des mots
Des piqûres en guise de contact humain

Défilement d’infirmières en notes blanches
Leur cœur battant au rythme
De leur partition syndicale

Parade de psychiatres robotiques
Soupesant chaque phrase
Sur leur balance lexicale

Dans ces lieux interminables
Aucun soleil définissable
Aucun jour de braise

Nulle senteur de fraise
Mais des plaintes
Mais des plaintes


Mes deux amours
Geneviève à l’âge où on tombe en amour ne songeait qu’au suicide et elle passa à l’acte.

Au temps des pommettes rouges de l’amour
Geneviève livide emmurée dans ses os
Avec la mort pour seul appétit
Se détacha de la vie
Comme feuille de l’arbre

Pourquoi se presser
Quand on a toute la nuit devant soi?

Roxanne fit une croix de cimetière
Sur notre relation


Encore sous le choc
Je ne savais vraiment quoi faire. J’étais déboussolé et j’avais peur.

Contre ma vie qui s’écroulait
Comme un château de cartes
Je crachai seul tout mon silence

Un équilibriste de l’âme
Écouta mes mots sauvages
Hurlants de la forêt de mon langage

J’avais peur du vent
J’avais peur du ciel
J’avais peur de moi


Le naufrage
À la suite de la mort de Geneviève et la rupture avec Roxanne, le désespoir m’envahit.

Cette mort et cette rupture
Trop grandes pour ma voilure
Déchirèrent le pavillon noir de mon âme

Ma peine plus grinçante
Que le cri du corbeau
Glaça d’effroi ma nuit quiète

Comme un amant
Caresse l’abdomen de sa belle
Je passai des jours entiers
À palper le ventre rond
Des bouteilles fines
Et l’incendie de la plus soif
Fit rage dans chacune des pores de ma peau


Les dragées cannibales
Je surconsommai des médicaments qui me firent perdre contact avec la réalité.

Avec des pilules collées à ma vie
Comme de la gomme au talon
Le départ de Roxanne
Telle une arête
Restait coincé au fond de ma gorge

Dans ces jours comprimés
De combats
Nulle danse érotique

Pour lumière, des lampadaires
En ligne de soldats

Pour repas, des dragées cannibales
Bouffant tout l’humain :
Colère, tristesse, ennui

Je me sentais coupable
J’anxiogènais une punition
Mais laquelle?


Le mirage du sexe
Il me restait le sexe à explorer. J’en éprouvais une immense sensation de vide.

Avoir du plomb dans l’amour
Empêche d’oublier
Pour m’étourdir
Je multipliai les aventures

Les mariages du sexe
Sont toujours pareils :
Baisers mécaniques
Enlacements techniques

Je vibrais encore
Sur la symphonie de Roxanne

Que fais-tu, Roxanne
En ce moment?


La décision
J’ai décidé de prendre le taureau par les cornes et d’affronter mes peurs.

Las de me sentir gelé
Comme une gouttelette
Sur la corde du petit matin
Faisant fi du Noroît
J’ai décidé de détatouer mes peurs
De refaire mes griffes
Une à une
Pour affronter ma vie

Dans ses combats existentiels
L’homme se bat tout nu

Plein cap sur la santé!


L’artiste
Des images de liberté trottinaient dans ma tête, je pris la décision de vivre
conformément à ma nature et à mon tempérament, celui d’un artiste.

L’artiste, cheval sauvage
Gambade dans le vert des prairies
Pendant que la société
Le mors aux dents
Produit des fers à cheval

Tu rêves, rechignait ma mère
Tu ne travailles pas, ajoutait mon père

Pourtant, artiste du ciel
Le nuage peint l’azur
Nourrit le blé
Abreuve la forêt
Habille l’hiver

L’artiste de la terre
Rend les cœurs moins froids
Il fait éclore les œufs d’amour
Qui font les enfants
Et la société répète : tu ne sers à rien

Envers et contre tous, j’ai accepté
De vivre en artiste


L’homme riche
On a beau être riche à millions, la mort nous attend et les héritiers font fondre la succession.

Avec son nom écrit
En lettres d’or à la banque
En lettres friables sur son épitaphe
Mon ami Marcel, millionnaire
Seul dans son trou
Est pauvre pour toujours

Ses enfants, héritiers voraces
Comme des chiens
Sucent les os de sa succession

L’argent brille tout le jour
Mais dans la nuit de la finance
Le dollar et l’or se confondent


La spiritualité
L’homme est en quête de sens. Même les choses les plus simples, les plus humbles ont un sens.

L’homme fine fleur des étoiles
S’abreuve de spiritualité
Comme les nuages d’eau

Je suis seul et je frissonne
Dans mon froid religieux
J’erre comme le pollen
Détaché de sa tige

La fleur est-elle inutile
Quand elle dit bonjour
Et qu’elle fixe le Soleil
Droit dans les yeux?


L’heure juste
Mon plus vif désir est de retrouver Roxanne.

Après la mort d’un être cher
Il faut remonter l’horloge de l’amour
Vigie, vois-tu poindre à l’attention
La grande aiguille de Roxanne?

A-t-elle refermé sur elle
La porte du pardon
Elle qui réparait les plaies d’amour
Par les battements de son cœur

Roxanne, dis-moi l’heure juste :
Y a-t-il des choses impardonnables?


La jalousie
En voyant Roxanne aux bras d’un autre, la jalousie s’est emparée de moi. Que faire pour la reconquérir ?

Sur la rue, j’ai entrevu Roxanne
Au bras d’un autre
La jalousie m’a glacé le dos
Sans lainage affectif
Je suis la proie des intempéries

J’ai multiplié les pas
Pour m’éloigner de ma peine
Mais le linceul de Geneviève
S’agitait dans mon ciel
Comme un échec noir

Comment dire à Roxanne
Que j’existe encore
Et qu’elle compte pour moi?


Le pardon
Roxanne a accepté de me rencontrer dans un café. L’espoir a repris.

Par un jour violet et sec
Assise à une terrasse
Devant le café de la vérité
Roxanne a déplumé notre relation

Geneviève, petite truite vive
A mordu à l’hameçon de la mort
Après avoir nagé en eaux troubles
Pour t’avoir pris pour un dieu
Et, moi aussi, je me suis inquiétée
De la carie de ton âme
Mais je connais le chêne en toi

Que le tison de Geneviève refroidisse
Ensemble, nous formerons une île nouvelle


Le réveil
Cette rencontre a décuplé mon énergie. Je me suis mis à rêver à nouveau.

En marchant d’un pas de soldat
Le fouet de la nature
A dégraissé mes tensions
Et mon angoisse éléphantesque

En croquant dans la pomme de la vie
Le jus de l’énergie a giclé de mes entrailles
Et tel un ressuscité
J’ai trouvé un second souffle
Des sons nouveaux ont rempli
Mes oreilles d’une musique aérienne
Et j’ai rêvé aux seins des jeunes filles
J’ai mis mon chapeau
Pour attraper le soleil

Mes pensées négatives ont fondu
Comme une sculpture de glace
Se liquéfie sous la pluie

J’étais encore amoureux de Roxanne


Un rêve fugitif
J’ai revu la mer où nous sommes allés. La sensation de la présence de Roxanne près de moi
était si forte que je sentais même l’odeur de son parfum.

Nous marchions sur une longue plage
D’un sable couleur de blé
La mer au rire sonore
Nous léchait les orteils
Comme un chien lape
De l’eau échappée sur le sol

La lune grisonnait
À moitié timide
En glissant dans la nuit
Sur un traîneau d’étoiles

Roxanne sentait le lilas
Et ses yeux empourprés de notre amour
Déclamaient mille serments
Plus doux que de la soie


L’espoir
L’idée de pouvoir faire ce que j’aimais m’enthousiasmait.

Roxanne avait jeté une bûche d’érable
Sur les braises de notre amour
Ravivant ma flamme d’artiste pur
Hostile au succès qui gave
À la richesse qui foudroie
À la gloire qui broie

J’avais le goût d’être moi-même
De dessiner des lignes pures
D’articuler des pensées claires
De créer des personnages
Lumineux comme des icebergs
Se découpant sur fond d’azur

Étais-je le maître de cette création
Ou la voix d’une Muse astrale
Inspirée par un dieu?


Un peu de musique
Souvenirs de ma mère musicienne qui calmait ses peines et ses angoisses en jouant du piano.
À travers ces vibrations sonores, l’image pure de Roxanne se dessinait.

Quand nous partions du nid
Ma mère pour prendre son envol
Confiait au piano ses émotions
Ses doigts frissonnaient sur le clavier
En jouant le froid de ses jours
Le piquant de ses peines
Et ses éblouissements de femme

L’onde douce de la voix de Roxanne
Se mariait au concerto de ma mère

Comme la forêt écoute l’oiseau
Je voudrais entendre ta voix, mon amour


L’arrimage incertain
Roxanne et moi, nous nous sommes retrouvés. Mais ne valait-il pas
mieux que nos liens se dissolvent comme du brouillard ?

Comme les pointes d’une ballerine
Les lettres fines de l’écriture de Roxanne
Sautillaient sur son invitation à dîner

Nous nous sommes enlacés
Et nos bouches ont dessiné des O
De retrouvailles

Buées des paroles de ma bien-aimée
Sur la vitre de mes yeux
À l’annonce d’un verdict cinglant :
Le cancer la tenait par ses griffes

Nous parlions avec douceur de notre demain
De peur que notre dialogue ne se brise
Comme une coupe de champagne qu’on échappe

À quoi bon s’arrimer, mon amour
Quand la mort coule dans mes veines
Et que j’entends déjà sur l’autre rive
La voix déchirante de Geneviève?


Elle et moi
Il fallait profiter de chaque seconde. Combien de temps nous restait-il ?

Dans un bruissement de rires
Roxanne s’est glissée sur moi
Comme l’oiseau se pose
Pour nidifier son amour

Complices comme des complices
Nous mettions en commun
Dans un trésor de plaisirs
Chaque éclat de soleil
Chaque croissant de lune
Chaque promenade sans but
Chaque mot, chaque silence

La plus belle, Roxanne
Partageait ma vie
Pour combien de temps?


Le clone astral
Mort de Roxanne. Son denier adieu prit la forme d’une blague faite à ses infirmiers.

Comme la fumée sort d’une cheminée
Roxanne, au zénith du premier mars
S’est échappée de son corps

Avant d’enfanter son clone astral
Elle a murmuré aux infirmiers :
« Messieurs, il est dix heures,
C’est l’heure d’aller vous coucher! »


La cicatrice
Je devais continuer à vivre pour témoigner de la vérité de notre amour.

Des jours gris sombre, longs, longs
J’ai vidé le carquois de ma colère
Comme un archer
Qui tire ses flèches au soleil
Et j’ai pleuré à gros bouillon
Mon amour de poussière

Un soir orangé, près d’un lac
Vaguelettes frissonnant sous le vent
Les paroles de ma muse Roxanne
Ont frôlé mes tympans :

J’ai cessé d’exister pour que tu vives
Pour que les autres aient moins froid
Pour que tu donnes ton pain
Pour que tu déposes les armes
Pour que tu chasses le mépris
Pour que tu parles avec ton prochain
Pour que tu aimes à la folie


Cimetière
Je suis allé rendre visite aux miens au cimetière. J’ai fait serment que je vivrais avec Roxanne en dépit de sa mort.

Dans le carré des morts
Emmitouflés dans leur silence
À l’abri des peines et des peurs
De Pierre à Joseph
De Joseph à Pierre
En passant par Aldéric
Lucile et Geneviève
Ils sont tous là
À l’affût de mon dernier serment :

Roxanne, mon amour
De chair et de cendres
Ma compagne plus douce
Que le sable des dunes
Ma muse d’harmonie
Lorsque le vent des aurores boréales
Sifflera mon nom d’artiste
Dans un écho retentissant
Par tout l’univers, je crierai :
C’est avec toi que je veux être éternel!


Deuxième partie :


L’artiste
Que faisaient les artistes anciens, les jours de grisaille ? Depuis le départ de Roxanne,
je dessine comme un aveugle, en m’efforçant de ne pas perdre ma dignité.

Immense lac gelé
Blanc comme une banquise
Toile blanche de mon premier dimanche
Orphelin qui s’ennuie

Des lustres auparavant
À l’abri des cavernes
L’artiste écoulait les heures
En piégeant les traits des animaux
La rosée des fleurs
L’oeil blanc des nuages
Sur le grès des grottes

Désormais dessins sans modèle
Pain de mon amour que je romps
Avec mes parents, mes frères

Le tatouage de la pauvreté sur la peau
Sans suceventions
Qui m’obligeraient à baiser la culotte
De la Moumoune de la Culture
Comme tous ces valets des arts
En mal de renommée

Je me sens digne de Roxanne


Fine Amélie
Souvenirs d’Amélie, mon amour d’adolescence.

Délicate fleur de ma jeunesse
Tu remplissais ma corbeille d’amour
De tes gerbes de fous rires

Tambourinant le sol de tes pas
Vers nos rendez-vous
Comme une souris
Tu allumais le feu de mes yeux

Fusion de nos coeurs
Avec les aurores boréales

La fougère de notre amour s’est déracinée
Prématurément
Tu partis pour l’Afrique
Aurions-nous bien vieilli ensemble ?

Quand le temps mauvais maussade
Dans cet amour troué
Je bénis la rencontre avec Roxanne


L’heure du choix
Qu’advient-il après la mort? Si tout meurt et que meurt l’amour, pourquoi s’aimer ?

Univers en collier d’or
Ou diamant noir
Quand l’amour se putrifie en cadavre ?

Pour ce grand bal avec le destin
Roxanne avait-elle revêtu
Ses plus beaux atours ?

Remous du doute :
L’amour vrai se casse-t-il comme du sucre?

Comme la nuit clôt les paupières d’une fleur
Le chagrin m’enveloppe

L’encens d’un grand amour
Se consume-t-il ainsi ?


Ma foi
Une bonne partie de ma vie a été empoisonnée par les religieux.

Jusqu’à l’âge adulte
Les curés m’ont entarté avec la farine
De leurs sermons dominicaux

Religion frappée du mépris de la chair
Pourtant l’homme provient de la chair de l’homme

Mes maîtres enseignants
Prêtres à maman
Sous la jupe du Vatican
Ce veau d’or catholique
Ont plombé ma conscience
Des péchés de la chair
Pendant qu’ils faisaient les coqs
Auprès des enfants pubères

Belle race d’hypocrites


Une vocation plombée
J’étais devenu avocat et mes parents étaient tellement fiers d’avoir un raton laveur dans leur maison !

Carnaval de graduation
Sous le masque d’avocat
Pour plaire à mes parents
Et donner la patte à mes bons maîtres

Judas de mes propres désirs
Mon cœur ferraillait
Depuis mille soleils
La bonne société donne ses beaux emplois
À ceux qui s’engraissent de diplômes
Et réserve sa porcherie
Des taches ingrates et minables
À ceux qui n’en ont pas :
Les artistes

La vie de troupeau m’attendait


Avocat
Je n’adhérais pas à la philosophie mercantile de la profession. Je me sentais un pur étranger devant ces exploiteurs.

Prisonnier des rayures noires de mon habit
Couvert des lauriers du succès
Et de mon beau diplôme
Luisant comme un oeuf
Me voilà membre du Barreau
Appelez-moi « Maître »
Je frétille comme une truite

L’eau se trouble
Dans le marais des litiges
D’énormes crocodiles de toges vêtus
Excités par l’argent frais des riches
Mordent au sang
Tous les pauvres

Les miséreux ont-ils des droits ?
Cette communauté juridique
Machine à sous
Me révulsait


La ligne rouge
Conformément à ce qu’on croit : le Droit protège les plus forts au détriment des plus faibles.

Malbouffe qui arrondit le ventre des ados
La ligne rouge de mes dettes
S’épaississait

Mon banquier devenu fou
De rage financière
Tel un carnassier
Voulut enfoncer ses crocs
Dans mon humble patrimoine

Nuits d’angoisse
Où les loups font la loi

La Société moque la Justice
En l’habillant de ses guenilles
Tandis qu’elle parait le Droit
De ses plus belles étoffes

Étais-je à ma place
Dans ce Milieu?


Fonctionnaire
Après la meute des loups, il fallait bien que je gagne ma croûte.

Pour gagner ma croûte
Je me fis dorer comme du poulet
Sous la grande broche étatique
Avec la sauce des avantages antisociaux
Privilège du fonctionnaire

Comme on offre un produit
J’avais vendu mon âme
À la fonction publique
Et mis sous scellé tous mes rêves
Sauf celui de la retraite

Devant des patrons croque-morts
Promenant mon cadavre
De ministère en ministère
Au fil des concours trafiqués
Je guettais le temps des pauses
Parmi ces violettes québécoises
En faisant à certains un pied de nez
À d’autres un doigt d’honneur
Suivant mon humeur
Et malgré le règlement

Dans ce jardin botanique
Je montai en graine
En engraissant mes classeurs
Avec des peu
Le plus souvent, avec des riens
Pendant que la société me gavait
En crachant sur les pauvres

La vie sert-elle à cela ?


Ni avocat, ni fonctionnaire
Ma mauvaise orientation professionnelle nourrissait mes crises de panique.

Effets de manche spectaculaires
Tours de passe-passe
Lettres qui terrorisent
Je connaissais tous les trucs d’avocat
Je pouvais même japper sur demande
En faisant gronder ma voix
Comme les as du prétoire

Mon cœur éructait de dégoût

Alternative : adorer des directives
En abaissant la queue
Comme catholiques devant l’hostie

Chaque nuit des oiseaux d’effroi
En bandes innombrables
Me remuaient
Pendant que le couteau de la foudre
Dépeçait des pans entiers de mes aurores

Las d’être bourreau et robot à la fois
Je cassai chacune de mes chaînes
Semant l’épouvante chez la gent domestiquée

Des bouffées d’air pur
M’emplirent les narines

Les premières !


Ma révolte
Ce qui est légal n’est pas un gage d’honnêteté, ni de propreté ni de moralité.

Dans l’ombre de la société moderne
Se profilent les fers des esclaves anciens
Hypothèque abusive
Prêts usuraires
Emprunt bissé pour une automobile
Cellulaire payé cent fois

Quelle escroquerie!

Pour quels aigrefins travaillons-nous ?
Pourquoi nourrir ces parasites ?

Pour se faire broyer les os dans la douleur ?
Pour bouffer des pilules antistress ?
Pour crever dans un bureau sans soleil ?

Produire, produire, produire
Pour mettre des plumes
Dans l’oreiller de notre cercueil ?
Pour nous acheter des pompes neuves
Pour nos pompes heureuses ?

Esclave de mes dettes
Pour la bonne société
Je suis une bonne carte de crédit

Mon âme a-t-elle un prix ?


Le vol perpétuel
Sur terre, il y a de la richesse en quantité suffisante pour tous, mais les prédateurs foisonnent.
D’où les inégalités, les injustices.

La Terre et ses richesses pour tous
Le profit est du vol légalisé
La prescription tampon légal
Qui justifie le vol

Ce lopin de terre pour tel roi
Pour tel seigneur cette forêt giboyeuse
Pour Charlemagne, pour Napoléon
Pour Hitler
Ces grands voleurs de territoires
Et de biens publics
Sous le regard complice
De la loi

Aiguilles de l’horloge qui s’affolent

Bientôt la mort sonnera l’alarme
Et ce sera l’infini
Ce Grand Tout
Dans lequel s’engouffreront
Tous ces riens et ces vauriens


Corruption
Le monde de la culture n’échappe pas au pouvoir de l’argent.

L’américanor, venin de la culture
Tache l’âme des artistes
Chaque œuvre de l’esprit
A son poids commercial

La spéculation
Telle une dague mortelle
Percera l’armure capitaliste
L’argent fera périr l’argent
Et tous ces fils à papa
Ces membres de la jet-set
De sang vert ou bleu
Et tous ces artistes de l’esbroufe
Ces faux dieux d’Hollywood
Seront balayés comme des rebuts
Pendant que Brel chantera Orly
La séparation de deux amoureux
Une chanson de dix sous
Plus percutante qu’un film à gros budget

La mort seule justice


Amour
Tous les êtres humains ont soif d’amour. L’amour ne rassasie pas.

Sans amour feu de camp
Qui fait encore pétiller mes yeux
Comme tisons vifs
Je meurs

Pour Victor, mon ami, plus seul qu’une écorce
Pour Marc qui a besoin de doux baisers
Pour Luc, qui rêve de froufrous
Et qui tous frissonnent de peur
Que naisse une femme douce

On a tous besoin d’amour
Pelisse de chat sauvage
Qui éloigne nos peurs

Sinon on veut s’enfuir


Le poète
J’ai choisi la poésie pour donner mon amour.

Comme une plume
Qui tombe du nid
J’écris des poèmes
Pour que mon cri d’amour
Transperce les veines de mes lecteurs

Mes mots flottent dans le vent
Comme une pluie de confettis
J’ouvre la grande la fleur de mon cœur
Pour que mes frères respirent son odeur

Pourquoi vendrais-je chez la fleuriste
Cette fleur de Spartacus ?


L’art est gratuit
La nature nous montre que l’homme en monnayant tout fait fausse route.

Dans le ciel les nuages écrivent
Le roman de l’éphémère
Le ciel prend sa pause
Pour le photographe
La Lune s’étonne de sa pâleur
Devant son miroir bleu de terre

Les étoiles ont-elles un prix ?
Combien pour cet air pur ?
Que valent les saisons ?
Quel est le prix de la mer Rouge
Et celui des marées poissonneuses ?

Combien coûte ce chêne ?
Cet orignal est-il en solde ?
Cette mésange court-elle le cachet ?

L’air, le vent, la pluie, les saisons
Les couchers de soleil, les nuages
N’ont aucun prix


Sur cette terre
Toute ma vie, la Beauté m’a émerveillé.

Sur cette terre
Mes pattes d’oiseau
Plus maladroites
Que les pas d’un enfant

Premier souffle
Une flamme qui lèche une bûche d’érable
Premier regard
Une forêt d’automne

Je respire l’haleine des fleurs

Mes passions brulantes embrasent des forêts

Pourquoi éteindrais-je le feu
De mon lance-flamme


Tout est éphémère
La seule loi qui nous régit: tout ne fait que passer.

Dans la main du temps
La peau de soie de Belle
Se froisse comme du papier
Quand les paroles du pur poète
N’ont encore aucun pli

Chopin, en moi
Fait murmurer la plainte
De l’arbre qu’on déracine

L’argent sucé au sang des pauvres
Aura nourri quelles sangsues ?


Vieillir
Je puise dans ma vie tous mes matériaux. Pour le Temps, je suis de la fumée de cigarette.

Ma vie, mon œuvre d’art
Mes tiraillements d’amour
Mes échecs répétés
Mes trahisons
Ma pauvreté vécue
Propulsent mon imaginaire

Seul comme un éléphanteau
Abandonné du troupeau
Je recherche une nouvelle fratrie

Malgré les coups bas
Raide comme une barre de fer

Ma plume suinte ma vie

Seul dérangement
Les chiens aboient
Sur mon passage

Mes chaînes d’amour résonnent
À travers mes textes

Je vieillis pourtant

Je disparaîtrai
Comme de la fumée de cigarette


Un rebelle
Je suis un dissident qui raille les délires de ceux qui se prétendent maîtres du savoir comme les philosophes.

Rebelle contre les idées reçues
Contre toutes les idéologies de singe
De ces maîtres-philosophes
Avec leurs dogmes aux dents

Seul sur mon île
Je bricole mon bonheur
Avec ce que je trouve
Quand l’ennui gagne les autres
Je crée
Et si les autres envient mon art
Je m’en moque
Je n’ai aucun mérite

Le poète oiseau à large voilure
Plane au-dessus de sa peur
Sachant que s’il n’existait pas
Le Grand Tout serait tout autre


Mon pays
Un artiste doit avoir pour mission de défendre son pays et sa culture qui l’ont façonné.

J’ai un pays qui naît, une langue, une culture
Comme l’homme a un sexe

Je veux faire reluire devant le monde
Le trophée de ma nation

Sinon je suis un déraciné
Un enfant perdu
Qui erre de par le vaste monde

Un faux exilé
Qui traîne son pays dans ses souliers

Un apatride
Qui lape les cultures des autres

Un ingrat fugitif
Reniant ses frères
En riant de leurs larmes

Un scribe coeur-sec
Qui ignore le lieu de sa naissance
Et qui n’a pas de sang tribal

Un pauvre
Qui a oublié le miel de son berceau
Le sein de sa nourrice
Et qui tête le suc des autres


Le premier souffle
Le lancement de mon premier recueil a été un échec.

Au loin le fleuve poussait
Son long chant de frimas
Et dans ce café presque désert
Après un bloc de silence
Devant quatre ou cinq parents et amis
Tout au plus
Rassemblés par devoir
La glace de ma gêne éclate
Avec quelques extraits
D’un poème appris par cœur
Vibrant au rythme de mon trac

Comme un château de cartes
Qui s’écroule
Mes espoirs s’effondrèrent
Me laissant nu

Abandonnerai-je
À mon premier souffle public ?
Ou vais-je dignement relever la tête ?


Le doute
Comme dans le film « Les Plouffe » je me suis demandé : « Y a-t-il une place
pour les Ovide Plouffe de ce bas monde ? »

Les autres défient les ours
Avec leurs cris d’Indiens
Et moi je fuis mon ombre

Ils dévorent le pain de l’amour
Comme des affamés

Je vis seul

Mes parents ne connaissent que l’étranger
En moi
Mes amis voient l’insecte rare
Pris dans leur filet social

Le cœur des artistes
Me fait vibrer plus
Qu’un cri d’amour

Que vais-je devenir?


Troisième partie


Le souffle de Spartacus
Tous les artistes peuvent se réclamer de Spartacus.

Crissements terribles de chaînes
Boucliers de fer fendus
Spartacus cadavre
La coquille de la Terre éclate
Par son cri d’affranchi

Souffle irrésistible
Verrous des médias qui se fracassent
Hommes à genoux claquant des dents
Terreur et frissons
Sur les eaux dormantes

La parole libre ne connaît
Nulle prison, nulle muraille,
Nul lieu
Pour l’étouffer

Les loups aux crocs d’argent
Tremblent

Drone sonore qui explose partout
Contre tous les soumis

Comme artiste
Le souffle de Spartacus m’anime
Car la rentabilité a remplacé la liberté


L’essentiel
Il me fallait revenir à l’essentiel.

Adulte-enfant
Mains menottées
Par la religion et l’amour faux
La mort a rompu le fil de soie
Qui me liait à ma mère

J’ai vécu le sevrage
Du départ de Roxanne, de Geneviève
De mes parents et d’amis chers

Maintenant, j’avance
Comme un bateau au long cours
Qui tient son cap
Malgré la météo mauvaise

Comme un découvreur
Je traverse des forêts inconnues

Je dors en plein air
Souvenirs au flanc

L’oreille ouverte
Pour ceux qui ferraillent
Contre les jours de suie


Le cadeau
Je suis prêt à donner la lune à ceux que j’aime.

Déballement de cadeaux :
Paysages d’automne
Sons de cuivres
Phrases blanches
Comme neige

Il fait fête dans ma tête
Comme dans un banquet

Telle une belle fille
Reçoit l’or de sa chevelure
Avec le clin d’oeil du Soleil
J’ai reçu la pauvreté en cadeau

Barre à gauche toute !


Avenir
La société capitaliste se désagrège, tous les économistes le prédisent.

Comme la rosée d’un matin clair
Tomberont au champ de déshonneur
Froufrous du Vatican
Éclairs du Pentagone
Et tous ces soldats qui plombent
La terre
De même que ces producteurs américains
Qui soufflent fort sur la bougie
De notre culture

La machine capitaliste fera des cloques
Pendant que j’irai danser pieds nus
Avec les pauvres


La vie quotidienne
Je pense que ma mère me voyant heureux aurait finalement été très fière de mon choix de vie.

Ma mère me souriait
Comme si elle avait gagné le million
Pendant qu’à ses pieds
Des enfants se roulaient par terre

Elle se tressait les cheveux en amoureuse
Qui veut piéger son amoureux

Et pendant que les enfants
Se chamaillaient
Se criaient des noms
Elle restait impassible

Je dompte mes souvenirs


Demain
Je serai neuf comme la page blanche.

Je caresserai la cuisse blanche de la Lune
Je boirai l’écume des chutes
Je dégusterai une tarte aux pommes

Le temps se videra comme ma plume-fontaine
Des vieux feront leur baroud d’honneur
Dans leur tombe au salon funéraire
Avant qu’on ne jette leur cadavre
Au fond d’un trou

Le fer du Soleil brulera ma peau

Des nuages feront la sieste dans le ciel

Des oies tailleront l’azur de leurs ailes blanches

Je marcherai vers l’orage qui me blanchira

Vers la mer qui me déportera

Et vers la nuit qui me fondera
À ma nouvelle Roxanne


Le sans-abri
Je pense souvent à ceux que la société rejette comme des rebuts.

J’ai vu un sans-abri en train de se noyer
Dans la rue
Les passants détournant leur regard

Et moi, et moi
Si l’on ne m’avait nourri, blanchi, instruit
Je pourrirais comme lui
Branche cassée au bord du trottoir

Pour ce frère
Hissons le drapeau blanc
Ce n’est pas de l’argent qu’il quête
C’est de l’amour

Chaque jour ses mains étreignent du vide
Et il jongle avec des pensées bien étranges


Ce à quoi je pense
Je vis la vie dont j’avais rêvé pleinement.

De quoi demain sera tissé ?

Après avoir vécu inquiet
Trois saisons de ma vie
Je souffle sur le ballon rouge
De ma souffrance
Quand va-t-il éclater?

Ma mort sera ma récompense

J’entends rire Roxanne aux éclats


Que reste-t-il ?
De notre passage terrestre, il ne reste que des choses fumeuses.

À peine quelques traces
L’encens des voix
Des gestes chauds
La foudre des passions
Des traits enrobés de brouillard
La chaîne des poignées de main
Des corps brûlant comme feux de joie
Des souvenirs vagues
Des exemples clairs
Et quand les morts ont tout laissé
Absolument tout
Ils désertent leur tombe au cimetière


L’héritage
Mon baroud d’honneur à ma mort : un dernier tour autour de ma fosse.

À ma mort j’arriverai
En retard au cimetière
Les cheveux ébouriffés

Invisible

En murmurant des douceurs
À l’oreille des miens

Prêt pour voir
Le French Cancan
De l’héritage


Le Grand Tout
J’ai hâte de retrouver mes défunts.

Comme nourriture
De la poutine
De la poussière
De la cendre
Avant de me hisser
Sur la banquise
Du Grand Tout

Je retrouverai mon nid
Exactement
Parmi des millions d’autres

Et je déploierai devant Roxanne
Devant les miens
Et devant mon mentor Spartacus
Mes nouvelles ailes d’oiseau


Et dans mille ans...
Que nous réserve l’avenir?

Dans mille ans à peine
Plus personne ne parle à personne
Le lion de l’Atlas ne rugit plus
Les juifs ne craignent plus leurs bourreaux
Tout s’étiole :
Les défenseurs de la vérité
Les pourfendeurs de la vertu
Papes, imams ne commercent plus
Que des cendres et des volcans morts...

Les idées ont coulé
Comme de grands fleuves
Qui s’échouent dans la mer

Ciel qui tonnerre et vibre encore
Laine effilochée des nuages
Soleil et étoiles
Braises dorées
Sur écrin noir

Le temps n’existe plus
Tout le silence est mort

Les villes à fric
Les pays gorgés d’argent
Les politiciens frappés de vérole monétaire
Plus rien...

Le socle du pouvoir a disparu
Et les aiguilles ne tournent plus
Comme les ailes d’un moulin à vent
Sous la tempête
Le gros coffret d’argent mondial
A coulé comme le Titanic

Reste une lumière blafarde
Et le souffle encore tout brûlant de Spartacus

1 commentaire:

  1. Allo cousin Denis, je viens de lire Le souffle de Spartacus. J'en ai perdu le souffle! C'est tellement prenant, émouvant, intense, honnête, etc... Je reconnais en toi un réel talent et je sais que tu ne recherches pas la gloire mais j'aimerais que ta poésie soit quand même reconnue, voire connue. J'ai beaucoup aimé ce que je viens de lire. Merci Denis! Lahana

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